« Le Monde du silence » du commandant Cousteau, un film « naïvement dégueulasse » ?
Dix-huit ans après la mort du commandant Jean-Yves Cousteau, le mythe qui l'auréole et son film culte, Le Monde du silence, ne semblent plus si immaculés qu'à l'époque. Dans l'émission sur Internet « Là-bas si j'y suis », dont le site Slate se fait l'écho, le romancier et cinéaste Gérard Mordillat tire à vue sur ce long-métrage, récompensé par une Palme d'or au Festival de Cannes, en 1956, et par un oscar du meilleur documentaire l'année suivante. Dans sa chronique, Gérard Mordillat juge ce film « naïvement dégueulasse ».
Mais pourquoi une telle haine envers ce film culte, réalisé par Louis Malle, qui suit l'équipage de la Calypso dans un voyage d'exploration sous-marine ?
« L'impossible commandant Cousteau », comme le nomme le chroniqueur, serait un « pacha qui ne sait pas distinguer bâbord de tribord ». Pour Gérard Mordillat, son film aurait pour but « de faire chier les poissons et toute la faune sous-marine », assure-t-il.
Le chroniqueur cite alors l'exemple de différentes scènes du film, où l'on voit un plongeur tiré par une tortue au point de lui faire perdre le souffle, l'explosion d'un récif de corail afin de recenser les espèces qui y vivent – qui a eu pour résultat de tuer un millier de poissons –, ou encore, en guise de vengeance, le massacre au fusil et à la pelle de requins dévorant un cachalot lacéré par l'hélice de la Calypso. Ainsi présenté, le film ressemble davantage à de la barbarie qu'à une ode au monde sous-marin.
Près de soixante ans après sa sortie, comment peut-on ne pas avoir vu ces scènes atroces, à l'opposé de ce que représente l'explorateur au bonnet rouge dans l'imaginaire collectif ? Gérard Mordillat conclut ainsi sa chronique :
« C'était prophétique, Le Monde du silence. Parce que c'est bien le silence qui couvre aujourd'hui cette destruction massive des récifs de coraux, l'extermination des animaux marins, la chasse, la pollution, le cynisme de tous les gouvernements au nom de la science, de la recherche et du profit. Des films honteux comme ça et ignobles, quand on les revoit aujourd'hui, on se dit qu'on a été aveugles. »
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« Nous étions épouvantablement naïfs »
Contacté par L'Express, François Sarano, océanographe et compagnon du commandant Cousteau durant treize ans, tempère pourtant les conclusions de M. Mordillat :
« A l'époque, nous étions certes épouvantablement naïfs, mais Cousteau a ouvert la mer et il est devenu protecteur de la nature (...). Cette réaction est normale, mais il est nécessaire de remettre le film dans son contexte : notre planète comptait 2,7 milliards d'habitants, la mer était une donnée inconnue, et à nos yeux, elle représentait une corne d'abondance inépuisable. »
De plus, le chercheur assure que les méthodes employées par l'équipage de laCalypso ont toujours cours aujourd'hui, à quelques nuances près : on n'utilise plus de dynamite mais du poison. « Lorsqu'un scientifique souhaite découvrir une espèce, il effectue un prélèvement, il est donc obligé de tuer l'animal », affirme à l'hebdomadaire M. Sarano.
Longtemps considéré comme pionnier dans l'histoire du documentaire de vulgarisation océanographique, le film est aujourd'hui insupportable aux yeux de nombreux spectateurs. L'écrivain Camille Brunel écrivait ainsi en octobre 2011sur le blog Mauvaises langues que « ce qui semblait un merveilleux documentaire [lui] apparaît aujourd'hui comme le documentaire le plus stupide et le plus répugnant jamais réalisé ».
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