Wednesday, February 3, 2016

Contemporary Chinese Art and Artificial Intelligence- Le Nouvel Obs


ART NUMÉRIQUE

Quand l’art contemporain chinois inspire les intelligences artificielles

« Le Livre du ciel » du plasticien Xu Bing, qui a inventé de faux caractères chinois, a donné l’idée à un développeur new-yorkais d’entraîner un réseau de neurones artificiels à générer de nouvelles représentations de calligraphie. 
Faire apparaître des chiens sur des images, jouer à « Supermario » et même battre un pro au jeu de go : chaque annonce à propos des progrès des intelligences artificielles semble de plus en plus spectaculaire et donne l’impression de voir grandir un enfant qui comprendrait peu à peu les mécanismes de notre monde. Aujourd’hui, la machine a dépassé la reconnaissance et le tri des données, elle est devenue créative.
Grâce à ces avancées, on parle même de plus en plus d’un « art généré » (à ne pas opposer à ce que les nazis appelaient l’art dégénéré), pour caractériser ces créations artistiques réalisées par un ordinateur qui aurait appris à s’exprimer grâce à des algorithmes, tels que les réseaux de neurones artificiels. A l’été 2015, ces modèles avaient même réussi à lancer un courant artistique psychédélique : l’inceptionisme ou Deep Dream.
A la fin de l’année 2015, Gennady Kogan et Hardmaru, deux développeurs-artistes ont réussi, à quelques semaines d’intervalles, à produire des œuvres numériques dont les concepts rappellent ou se revendiquent même d’une œuvre majeure de l’art contemporain chinois : « Le Livre du ciel » du plasticien Xu Bing.

Une démarche proche du canular

A la fin des années 80, l’artiste chinois Xu Bing dévoile au public son œuvre maîtresse : le « Tianshu », en français le livre (shu) du ciel (tian). L’installation invite le spectateur dans une pièce dont les murs, le sol et même le plafond sont recouverts de rouleaux et de livres dépliés et remplis de caractères chinois.
Mais ce n’est pas la disposition solennelle de l’œuvre qu’il faut contempler, ici, le plus intéressant sont les inscriptions en chinois. Ces sinogrammes ont une particularité surprenante : ils ne veulent absolument rien dire. En résumé : qu’on parle chinois ou pas, face au « Livre du ciel », le spectateur reste dans une contemplation absurde, à la recherche d’un sens qui n’existe pas.
Pour arriver à ce résultat, Xu Bing s’est plongé dans l’étude des caractères chinois jusqu’à ce qu’il arrive à en inventer des milliers de faux, dépourvus de sens, qu’il a ensuite gravés sur des plaques de bois pour les reproduire ensuite sur les différents volumes.
Dans une interview publiée en 2011 par l’Asia Art Archive sur YouTube, l’artiste chinois explique sa démarche proche du canular artistique. Après avoir soumis l’idée à ses amis et avoir été traité de fou, Xu Bing se lance dans la réalisation de cette œuvre, qui sera son projet de fin d’études à l’Académie centrale des beaux-arts de Chine.
«  Dès le début, j’étais très conscient que la réalisation de ce livre devait être très méticuleuse, parce que sa perfection poussée allait souligner l’absurdité de l’œuvre, et l’intensité que je mettais dans son exécution faisait partie du langage artistique de cette œuvre, de la même manière que l’utilisation de la couleur peut être une part importante du langage artistique d’une peinture à l’huile.
Si vous n’êtes pas méticuleux, alors la force de la blague sera diminuée, parce que vraiment, ce que je faisais était une sorte de blague. Mais si ça vous prend des année à faire cette blague, si vous mettez tous vos efforts là-dedans, alors le pouvoir artistique de cette blague sera surmonté et pris au sérieux. J’ai ressenti que ça devait donner l’impression d’être un livre très important, pour que les gens soient complètement mystifiés par la beauté de ce livre qui n’a pas de sens.  »
Interview avec Xu Bing sur l’art contemporain chinois dans les années 80 (7 février 2011) 
Pour réussir sa blague, Xu Bing choisit donc de graver et d’imprimer ses signes dans le style d’une police de caractère de l’époque Ming « car si c’est écrit à la main, ça n’a pas la même gravité » explique-t-il. L’œuvre sera présentée à partir de 1988 en Chine puis exposée dans le monde entier.

La machine capable d’écrire à la main

27 ans plus tard, le 15 décembre 2015, le développeur new-yorkais Gene Kogan a été le premier à dégainer ses expériences sur l’écriture en chinois en publiant une note sur son blog qui reprend le nom de l’installation de Xu Bing. Un sous-titre précise « explorer l’espace latent de la calligraphie chinoise ».
Comme Xu Bing, l’artiste-développeur s’est intéressé à la représentation graphique des mots en chinois, même si à l’inverse de Xu Bing, il a privilégié la forme manuscrite. Un même mot n’a pas la même forme selon la main qui l’écrit. Pour un même signifié, il existe une variation quasi-infinie de signifiants.
Gene Kogan a entraîné un réseau de neurones artificiels, en lui présentant une base de données composée d’images au format .jpg. L’intelligence artificielle a d’abord appris les différentes positions des pixels pour un même mot, puis petit à petit elle a su reconnaître toute seule le mot signifié par une image qu’on ne lui avait jamais présenté. Bravo la machine…
Mais le travail de Gene Kogan ne s’arrête pas là. En effet, le twist qu’apporte le développeur réside dans les représentations ensuite générées par l’ordinateur. Au lieu de seulement trier des images selon des positions de pixels, la machine devient capable d’écrire « à la main » et explore le champ des possibles. L’artiste a décidé de représenter ces variations, rédigées par la machine, sous la forme d’images animées.
On peut y contempler les modulations d’un même mot, mais aussi les glissements d’un mot à un autre selon les traits qui composent son caractère chinois. Gene Kogan réussit donc à inventer de nouvelles représentations, mais on n’est pas tout à fait dans la performance de Xu Bing, qui a carrément inventé de faux signes.

Faux caractères pour mots improvisés

Le 28 décembre 2015, l’artiste-développeur canadien Hardmaru, de son vrai nom David Ha, poste une note qui fait involontairement écho à la publication de Gene Kogan. Intitulée « un réseau récurrent imagine de faux caractères chinois au format de vecteurs sur TensorFlow », elle présente les essais réalisées par Hardmaru sur un logiciel d’intelligence artificielle utilisé par Google.
Comme Gene Kogan, Hardmaru s’est aussi intéressé à la représentation graphique des mots par une intelligence artificielle. Auparavant, il avait déjà appris à son ordinateur à écrire à la main en anglais. Le résultat est certes encore limité, mais déjà suffisant pour falsifier un mot de votre médecin.
Contacté par Rue89, David Ha confie qu’il n’a entendu parler du « Livre du ciel » de Xu Bing qu’une fois sa note de blog publiée. Il se dit plutôt inspiré par Tsang Tsou Choi, célèbre street-artiste de calligraphie à Hong Kong, mais aussi par les terribles dictées du cours de chinois, auquel ses parents l’avaient inscrit quand il était enfant.
C’est donc par hasard que Hardmaru arrive à un résultat semblable à celui de Xu Bing : inventer de faux caractères chinois. Ceci s’explique en grande partie par la méthode employée par l’artiste développeur : 
« Plutôt que de générer des sinogrammes en tant qu’image pixelisée, le système apprend à générer un caractère comme une série de vecteurs, trait par trait, comme si l’algorithme contrôlait un crayon robot qui dessine sur une feuille et qui se soulève pour se déplacer à un autre endroit de la feuille. »
Hardmaru a utilisé un jeu de données de millions de traits qui ont été enregistrés par de nombreux maîtres de Kanji. Il a ensuité entraîné un modèle de probabilité à apprendre la séquence de ces mouvements de tracés. Une fois ses mouvements assimilés, l’intelligence artificielle va générer de nouveaux caractères à partir de cet « espace de possibilités ».
Résultat, la machine va tracer des traits placés harmonieusement et créer, comme l’avait fait Xu Bing, des caractères qui ont l’air de vrais signes chinois, mais qui ne veulent absolument rien dire.
Il arrive aussi que par hasard, l’intelligence artificielle place des traits et forme un nouveau mot, qui peut être compris. Hardmaru décrit ces nouveaux mots avec amusement sur son blog : 
« On dirait un enfant qui galère pendant une dictée de contrôle en chinois et qui essaie d’improviser en inventant des réponses. »
Hardmaru a décidé de conserver certains de ces mots-composés improvisés par son intelligence artificielle sur un compte Twitter dédié.
En voici une sélection qui prouve que les machines savent trouver le mot juste, être poétiques et même nous faire part de leurs convictions véganes.
Exemple : une voiture sans chauffeur : 
Un poisson-détective : 
Fantôme solitaire : 
Arrêtez de manger de l’agneau : 
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L'inventaire des œuvres d'art accumulées par Hermann Goering publié dans un livre
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